MA GRAND-MÈRE AVAIT LES MÊMES

MA GRAND-MÈRE AVAIT LES MÊMES

En lisant le journal local à la rubrique des animations du jour, je repère l’annonce suivante :
« Place des souvenirs, brocante annuelle des Parents d’élèves de l’école JEAN CHERCHE…. »
Je n’ai rien prévu de particulier aujourd’hui, je vais y aller faire un tour. Peut-être trouverai-je l’objet du siècle ! Un rayon de soleil éclaire l’avenue qui mène à la foire semblant me récompenser d’avoir choisi cette promenade plutôt que de me laisser embarquer passivement par le petit écran.
Sous les arbres les commerçants d’un jour se sont installés sur des tréteaux, sur des tables, sur des toiles plastiques ou des plaids de couleur… une petite foule bruyante se faufile dans les allées bornées de ces étals de fortune. Au hasard, s’il existe, je m’engage dans celle qui se trouve face à moi…
Mon regard est attiré par une panoplie de vieilles cannes à pêche en bambou, posées près d’une sorte de cadre en bois long et ventru au milieu duquel dans sa partie supérieure pend une cage de fer. Oh ! Un moine ! Comme chez ma Grand-Mère. Elle s’en servait le soir pour, le glissant sous l’édredon et le drap de dessus, réchauffer le lit. Elle prenait les braises dans le cœur d’une cuisinière à charbon trônant dans la cuisine. Des images d’enfance remontent dans ma tête… durant quelques instants je suis ailleurs.
Je continue ma balade. Plus loin derrière un bric à brac de vieux outils une Dame âgée, assise sur un pliant de toile, se concentre sur son ouvrage de dentelle. En effet près des vieux rabots, des scies, des pinces, des faucilles…. Je remarque des napperons, des chemins de tables… là encore je me dis : comme sur la cheminée chez ma Grand-Mère.
Je poursuis ma visite caressant un gentil chien par ici ou arrêtant la course aveugle d’un enfant risquant de me percuter par là. Mes yeux se posent sur une série d’articles de maroquinerie… et ô joie ! Je remarque un porte-monnaie noir avec pour fermeture deux appendices de fer blanc que l’on tournait l’un sur l’autre. Me voici, d’un coup, revenu à mes toutes jeunes années. Je revois mon arrière-grand-mère de 95 ans, toute menue dans son lit qu’elle ne quittait plus. Les veilles de fin de vacances elle ouvrait le même porte-monnaie noir et nous donnait une pièce à mon frère et à moi. Tout cela dans une chambre parfumée de la cire du parquet et de la vieille armoire dans un décor de fleurs séchées et bustes en terre cuite sous un silence étonnant et grave de la part de jeunes garçons habituellement bruyants. Mon Dieu… comme c’est loin dans ma mémoire et pourtant si présent grâce à la brocante.
Au détour d’un comptoir de caisses de livres anciens, d’illustrés d’un autre temps paradent des jeux de société. Oh ! Un meccano comme chez ma Grand-Mère. Elle le rangeait dans l’armoire de la chambre lorsque nous partions.
Les objets proposés par les exposants défilent à la vitesse de mon pas. Là un panier à œufs en fer comme celui de ma Grand-Mère… ici un garde-manger de fin grillage comme celui de ma Grand-Mère… ou encore une fontaine à eau en porcelaine avec son petit robinet et sa cuvette comme celle de ma Grand-Mère sur le balcon sous la treille.
La dernière allée s’égaye d’une musique qui titille mes oreilles. J’aperçois une dame d’un âge certain, vêtue de guenilles de théâtre les pieds chaussés de gros sabots, qui fait sonner un petit accordéon pendant que son septuagénaire de mari anime des marionnettes de fils et de bois.
Je m’adosse à un tilleul et je contemple cette scène d’un autre temps.
La dame a le visage marqué. Des rides viennent sillonner cette face de femme de la campagne, burinée par le chaud, le froid, les pleurs et les sourires. Ses mains aussi racontent des histoires de jardin, de marchés, de lessives au lavoir et de poulaillers…
Les rides sont profondes. On y pourrait semer des graines de courage. Heureusement ces sillons creusés, ces ravines ne sont pas à vendre, mais à parcourir sur la pointe des pieds issus des vers d’une poésie spontanée. Joue encore Madame… longtemps.
Nos regards se croisent, se fixent…. Je lis dans ses yeux que nos pensées se rejoignent.
Elle joue « SE CANTO ».
A-t’elle senti l’authentique de mon émotion, de mon trouble ? Elle me sourit. Je lui réponds en pensant : elle avait les mêmes ma grand-mère. Ses rides étaient comme les marches d’un escalier pour que ses sourires montent au regard.
Surpris que cette simple brocante me touche à ce point je me prends à souhaiter que quelques joies peuplent les rides de lumière sur tous les visages des Mère-grand…
Pudiquement je quitte la place des souvenirs alors que la buvette propose à la sono :

 » Voulez-vous danser Grand-Mère… »

Retour accueilRetour à la liste Suivant