VIEUX MARIN

VIEUX MARIN

Vieux marin
Laisse-moi te regarder
Sur ton visage
Je veux poser mes mains
Sentir le sillage
Des bateaux, reproduit
En cent rides la nuit,
Sur ta peau hâlée
Brunie et tannée
Par le sel et le vent,
Par la tempête et l’éloignement.

Vieux marin
Laisse-moi ôter ta casquette
Laisse-moi baiser le dessus de ta tête.
Tu sens la forte marée
Le goémon t’a marqué.

Vieux marin
Laisse-moi passer un doigt
Sur les crevasses dures
Que le temps a installées
Comme il se doit
Sur tes joues fatiguées,
Sous l’air vif et pur.

Ta moustache tu as taillé
Ce matin de peur de t’en aller.
Tes yeux en deux perles noires, mates
Et fixes, éclairent un front
Où ton nom
En lettres d’or éclate.

Laisse-moi ôter ta pipe noire
Sur ta bouche je veux voir
Ou plutôt réentendre de tes lèvres sèches
Les mots
Parfois un peu gros
Que sur la vague fraîche
D’une voix rêche
Tu criais à tes hommes.
Pour ces gens-là, le rhum
Restait la seule récompense
Pour leur ouvrage dur et difficile,
Pour la nécessité que leur race
Imposait… Faire face.
Le dos à la ville.

Certaines fois dans le grand calme
D’une mer devenue tapis tendre et apaisé
Et des mouettes le lit privilégié,
Lorsque les voiles et les rames,
Se reposaient, tu regardais,
Droit, l’horizon propre et paisible.
L’infini de tes yeux était la cible,
Dans ces instants puissants.
Mais je tairai l’intimité de ces moments.

Vieux marin
Donne-moi ton âge,
Ce qui te fait sage, et donc, page à page,
Le grand livre de ta vie.
Que cet ouvrage
A mon chevet, m’enseigne la nuit.
Quel petit d’homme je suis
Devant toi, l’Homme ! ! !

Vieux marin
Vis encore longtemps
Reste mon professeur,
Le savant de mon cœur.
Fais de moi ce que ta volonté
De toi a fait :
Le portrait géant
De l’homme passionné et respecté,
Amant de la justesse du cœur de l’enfant,
Qui devenu vieux, heureux et triomphant
Possède enfin ce capital essentiel :

L’amour du bien-fait en un cercle bouclé
Qui authentifie la mission accomplie,
Acceptée dès la prise de vie
Jusqu’à l’heure du rendez-vous éternel.